La Cour constitutionnelle belge annule le service communautaire : une victoire en demi-teinte

Article paru en juillet 2018 sur le site
d’ATD Quart Monde Belgique

Revenons deux ans en arrière : en juillet 2016, le gouvernement Michel décide de généraliser le projet individualisé d’intégration sociale (PIIS) à tous les bénéficiaires d’un revenu d’intégration sociale (RIS). Il instaure en outre la possibilité d’un service communautaire.

Tollé dans le monde associatif : cette mesure conditionne de plus en plus le droit à un minimum de sécurité d’existence, elle s’inscrit dans le cadre d’une politique répressive à l’égard des pauvres, elle est de nature à renforcer encore le contrôle sur ceux-ci, elle permet toujours plus d’intrusions dans leur vie privée, elle pourrait être utilisée pour les contraindre de prester gratuitement dans une association ou un service public en échange d’un revenu d’existence. Bref, une nouvelle modalité de travail forcé qui ne dit pas son nom puisqu’il s’agit d’un travail non rémunéré.

Dans un communiqué de presse, le Mouvement ATD Quart Monde fait publiquement entendre la voix de ses membres et dénonce les dérives de la loi. Puis, avec d’autres associations (Ligue des droits de l’homme, Lutte Solidarité Travail, Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, etc…) il en demande l’annulation par la Cour constitutionnelle. Une bataille juridique s’engage.

Hasard du calendrier : l’audience est fixée le 25 avril de cette année, jour de la cérémonie organisée à l’Hôtel de ville de Bruxelles en l’honneur des morts de la rue. Quoi de plus naturel pour les participants que de se rassembler après la cérémonie devant la Cour pour manifester leur opposition à la loi. Une façon comme une autre de rendre hommage à leurs compagnons les plus faibles qui ont payé de leur vie les lacunes de la sécurité d’existence.

Ce 5 juillet, la Cour tranche : elle balaye les moyens des associations fondés sur les droits humains, pour contrer la généralisation du PIIS: le non-respect de la vie privée, un retour en arrière injustifié (le principe du stand-still), le renforcement de la conditionnalité de l’aide sociale.

Le Ministre Ducarme s’en est immédiatement réjoui et « se félicite de la validation de la généralisation », mais il passe sous silence le fait que la Cour annule l’instauration du service communautaire. La motivation est d’ordre technique : le Fédéral empiète sur les compétences attribuées aux régions depuis la sixième réforme de l’Etat.
Nous avons donc gagné sur ce point, non pour des raisons de principe, mais pour des raisons particulières au système complexe des compétences dans le cadre d’un état fédéral.

C’est une victoire, mais il n’y a pas de quoi pavoiser. La voie reste ouverte aux dérives que nous dénoncions à l’époque dans notre communiqué de presse. À nous de rester vigilants.

Georges de Kerchove
Membre de l’équipe nationale

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L’absence de statut légal, jugée contraire au respect de la vie privée, selon la Cour européenne des Droits de l’Homme

Etre privé de statut légal a des conséquences sévères pour la vie quotidienne et la vie privée, y inclus des besoins cruciaux comme trouver un emploi ou obtenir des soins médicaux, a déclaré la CEDH en condamnant pour violation de l’art.8 (respect de la vie privée ) l’invalidation de passeports par la Russie, en raison d’irrégularités dues aux autorités, dans l’arrêt rendu à l’unanimité le 12 juin 2018 à propos de l’affaire « Alpeyeva & Dzhalagoniya » .

La vie privée, y rappelle la Cour, est un concept large qui comprend entre autres le droit d’établir et de développer des relations avec d’autres êtres humains ainsi que le droit au développement personnel (point 107 de l’arrêt).
Les deux requérants vivaient en Russie après avoir obtenu la nationalité russe. Les irrégularités invoquées par les autorités russes concernaient l’absence de mentions dans une base de données. Ils ont obtenu de la CEDH 5.000 euros, chacun, au titre de satisfaction équitable (art. 41) bien qu’ils aient reçu plus tard de nouveaux passeports russes.

Cet arrêt semble de nature à pouvoir être invoqué aussi, tout en tenant compte de différences, contre une autre privation de statut juridique, celle des citoyens-fantômes (spookburgers) qui ont été mentionnés dans des Universités populaires européennes d’ATD Quart Monde.

J.M. Visée

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La Cour constitutionnelle belge donne une carte rouge à la réforme de l’aide juridique

En ce 21 juin, l’été démarre fort. Il démarre par une décision de la Cour constitutionnelle qui annule la réforme de l’aide juridique. Avec d’autres associations, le Mouvement ATD avait saisi la Cour pour demander l’annulation de la loi qui impose au justiciable de payer un ticket modérateur de 20 euros pour la désignation d’un avocat et de 30 euros pour chaque procédure.

Pour essayer de justifier la réforme, le Gouvernement avait fait valoir que les bénéficiaires de l’aide juridique, c’est-à-dire les personnes en état de détresse, multipliaient abusivement des procédures. Au nom d’une bonne gestion des deniers publics, Il fallait donc mettre un terme à ces abus.

Faux, répliquaient les associations, aucune statistique valable ne démontre une surconsommation juridique. C’est même le contraire, soutenait notamment le Mouvement ATD  : plus que d’autres, les très pauvres hésitent à faire valoir leur droit. En réalité, il y a une sous-consommation. Trop souvent, ils laissent tomber, par ignorance des lois, par lassitude, parce que les procédures sont compliquées, parce que le rythme de la justice ne répond pas à leurs préoccupations immédiates.

En décembre 2015, plusieurs militants avaient participé à une journée d’étude organisée au Sénat à l’initiative du Service de lutte contre la pauvreté. Universitaires et militants avaient posé un constat formel : « Le non-accès aux droits, dont le non-recours ou non-demande est une forme, est une réalité dont l’ampleur est plus grande qu’on ne l’imagine généralement et qui touche particulièrement les personnes les plus défavorisées. Les prestations non réclamées constitueraient, selon certaines études, un phénomène plus étendu que la fraude aux allocations, qui fait pourtant l’objet de bien plus d’attention politique aujourd’hui ».

Comment tranche la Cour ?

Elle rappelle d’abord l’article 23 de la Constitution : chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. Cela comprend notamment le droit à l’aide juridique, qui selon les travaux préparatoires, vise en premier lieu à protéger la personne se trouvant en état de détresse. Ainsi, le manque de connaissances juridiques ou l’aptitude insuffisante à se défendre socialement ne peuvent avoir pour effet de priver l’individu de la jouissance d’un droit ou de la faculté de se défendre.

Ensuite, elle tacle l’argument du Gouvernement selon lequel le montant du ticket modérateur était modeste, symbolique ou modique. Non, le montant qui peut aller jusqu’à 50 euros, ou plus en cas de plusieurs procédures, est considérable pour les justiciables qui n’ont que peu de moyens d’existence.

Dès lors, la loi est contraire à la Constitution et la Cour l’annule.

Quand les diables rouges remportent un match, c’est une victoire pour la Belgique.

Quand la Cour prend une telle décision, c’est une victoire pour la démocratie…

Georges de Kerchove

Arret Cour Constitutionnelle 2018-077

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La Constitution sociale de l’Europe (Charte sociale européenne) : réalité et efficacité de la défense des droits

Article paru sur Housing Rights Watch
reproduit avec l’accord de l’auteure
et de Housing Rights Watch

Carmen Salcedo Beltrán
Professeur au Département Droit du Travail et Sécurité sociale
Université de Valence

Cette étude veut démontrer, en fournissant des exemples de trois pays, que la Charte sociale européenne devrait être considérée comme la Constitution sociale de l’Europe, dans la mesure où il s’agit de la Convention internationale la plus importante et la plus « efficace » pour la défense des droits humains sociaux, en raison notamment de son effet direct dans la sphère juridique.

Des preuves justifiant cette allégation sont disponibles en Espagne, en Grèce et en France, où des tribunaux inférieurs (et des plus hautes cours en France) ont émis des jugements permettant de réaffirmer un droit inscrit dans une règle plus élevée dans la hiérarchie, supprimée ou considérablement limitée par une règle inférieure dans la hiérarchie. À cette fin, la discussion se concentre sur la pertinence des efforts visant à structurer correctement le système des sources de droit, la matérialisation du contrôle de la conformité avec la « conventionalité », plutôt qu’un contrôle de la constitutionnalité, et l’application du principe de favor libertatis. Cela peut sembler simple, étant donné la disponibilité des arguments juridiques, mais il est parfois difficile de faire en sorte que ces arguments soutiennent la Charte sociale européenne.

Le texte de la Charte montre clairement qu’il s’agit de l’instrument juridique intégrant la norme la plus élevée de protection, non seulement par rapport à la Cour européenne de Justice mais également par rapport à la Convention européenne des droits de l’homme et aux jugements de son organisme de contrôle, la Cour européenne des droits de l’homme, qui doit absolument être invoquée dans toutes les demandes formulées par des organisations associations et agents sociaux, citoyens ou professionnels du droit.

Enfin, il convient de mentionner l’importance de la Charte sociale européenne par rapport au droit au logement. Bien que ce droit soit reconnu par l’article 31 de la version révisée, l’interprétation transversale et cohérente des préceptes et de ses objectifs réalisés par le Comité européen des droits sociaux implique que cela s’applique également à l’article 16. Il est dès lors possible d’exiger non seulement la fourniture d’un logement de niveau suffisant, mais également la fourniture d’un logement qui n’est pas insalubre et qui possède les commodités essentielles, ainsi qu’une protection contre les expulsions illégales (voir, entre autres, la décision sur le bien-fondé du 12 mai 2017, Réclamation n° 110/2014, Fédération internationale des droits de l’homme c. Irlande).

Lire l’analyse complète ici (en français).
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France : vers une jurisprudence opposée aux coupures et réductions de débit d’eau ?

Le Journal d’ATD Quart Monde (avril 2018) signalait : « L’entreprise Saur a été condamnée par le tribunal de grande instance de Nanterre (Hauts-de-Seine), à rétablir le branchement d’une mère de famille de Perpignan (Pyrénées-Orientales) sans eau courante depuis douze ans.

En 2005, cette Perpignanaise, qui élève seule son fils, s’est retrouvée dans l’incapacité de régler une facture de 300 euros. La Saur lui coupe alors l’eau. La mère de famille a recours à un branchement sauvage pour vivre dignement. En 2013, la Saur porte plainte pour vol d’eau.

Une coupure d’eau,  « cela vous perturbe au niveau de l’image que vous avez de vous-même, explique cette femme, vous vous sentez inférieure. Trouver de l’eau devient une obsession. Le pire, c’est les toilettes. Vous ne pouvez pas faire venir des gens chez vous » .

Pour France Libertés qui l’a soutenue, cette décision  « rappelle aux opérateurs qu’ils ont l’obligation de fournir en eau tous leurs usagers. Les conflits ne peuvent en rien légitimer une coupure d’eau illégale ».
(
En France, La loi Brottes du 16 avril 2013 ( J.O.) a interdit les coupures d’eau en cas de factures impayées – article L115-3 du Code de l’action sociale et des familles -)

De façon plus large, Daniel Kuri, Maître de conférences de droit privé, Université de Limoge, s’interroge sur « un mouvement jurisprudentiel opposé aux réductions de débit d’eau » (lien pdf) et FranceLiberté liste un certain nombre de jugements depuis 2014 (lien, page web)

Rappelons ici le point H des Principes Directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme (lien), dont cet extrait : « Les États devraient: (…) Veiller à ce que les personnes vivant dans la pauvreté aient accès pour le moins à une quantité minimale d’eau qui soit à la fois suffisante et salubre pour les usages personnels et domestiques (y compris boisson, hygiène personnelle, lavage du linge, cuisine, hygiène domestique) et pour l’assainissement, qui tienne compte des besoins spécifiques des femmes et des hommes et qui soit physiquement accessible et d’un coût abordable;  »

L’accès à l’eau n’est-il pas un droit fondamental ?

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Italie : le droit d’habiter quelque part

La nécessité pour des familles de loger des enfants mineurs et un handicapé grave correspond à un droit fondamental qui justifie l’occupation d’un terrain communal

Un jugement du tribunal pénal de Milan a ainsi acquitté des familles qui occupaient sans autorisation un terrain communal. Il a considéré que la nécessité de garantir un abri et une demeure aux 4 enfants mineurs et à un handicapé grave (à 100%) justifiait cette occupation dans l’attente d’un logement communal avec l’appui de la Communauté Sant’ Egidio.

La juge se fonde notamment sur l’art. 2 de la Constitution qui garantit les « droits inviolables de l’homme » et sur la jurisprudence de la Cour de Cassation, pour estimer que le droit au logement rentre dans les besoins primaires des personnes afin d’éviter la menace d’un dommage grave non seulement à la vie et à l’intégrité physique mais aussi au droit fondamental à un logement qui correspond aux besoins primaires de la personne. Elle conclut en indiquant que l’évaluation comparative du droit de la commune à utiliser son terrain (en fait abandonné depuis des années) et des droits fondamentaux des prévenus « est certainement en faveur de ceux-ci ».

Ce jugement du 5 décembre 2017 a donc effectué l’examen de la proportionnalité, que demande l’arrêt « Winterstein » de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, bien que sans s’y référer et de plus il s’est prononcé à l’issue de cet examen en faveur du droit fondamental au logement pour des enfants mineurs et un handicapé grave.

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Dare un’abitazione a dei minori e a un disabile grave è un diritto fondamentale che giustifica l’occupazione di un terreno comunale.

Una sentenza del tribunale penale di Milano ha infine scagionato alcune famiglie che avevano occupato senza autorizzazione un terreno comunale. Il Tribunale ha riconosciuto che la necessità di dare un tetto e una dimora a quattro minori e a un disabile grave al 100% nell’attesa di ricevere un alloggio comunale con il sostegno della Comunità di Sant’Egidio giustificava l’occupazione da parte delle famiglie.

La sentenza si fonda sull’articolo 2 della Costituzione che garantisce i “diritti inviolabili dell’uomo” e sulla giurisprudenza della Corte di Cassazione, che ha stabilito che il diritto all’abitazione rientra fra i bisogni primari della persona, non solo per evitare la minaccia di un danno grave alla vita e all’integrità fisica dell’individuo, ma anche per ribadire diritto fondamentale all’abitazione, che corrisponde ai bisogni primari della persona. La sentenza si conclude indicando che la valutazione comparativa fra il diritto del Comune a utilizzare il terreno (abbandonato da anni) e i diritti primari degli imputati, “è certamente a favore di questi ultimi”.

La sentenza del 5 dicembre 2017 ha quindi effettuato l’esame di proporzionalità, che invoca la sentenza “Winterstein” della Corte Europea dei Diritti dell’Uomo pur senza fare esplicito riferimento, e in più alla fine di questo esame si è espressa in favore del diritto fondamentale all’abitazione per dei minori e un disabile grave.

Jugement, sentenza MOISE

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Expulsions et relogements

Les expulsions sans relogement (effectif pour tous les habitants) sont nombreuses en Europe. En Espagne, la menace plane sur Las Sabinas depuis de nombreuses années.

Plusieurs institutions des droits de l’homme se sont confrontées à ces faits.

« Les Nations Unies, par l’intermédiaire du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, ont condamné aujourd’hui [5 juillet 2017] l’Espagne pour avoir violé le droit au logement de la famille de Mohamed Ben Djazia et Naouel Bellili, de nationalité espagnole, et de leurs deux enfants mineurs. Un cas dénoncé par le Centre de Conseil et d’Etudes Sociales (CAES) devant les Nations Unies et dans lequel Amnesty International est intervenu, dans le cadre du réseau international DESC, pour réclamer des mesures visant à protéger le droit au logement de cette famille » (source Amnesty Espagne).

Outre la présentation de rapports [obligatoires, des Etats], le Protocole facultatif au Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, qui est entré en vigueur le 5 mai 2013, donne au Comité compétence pour recevoir et examiner les communications de particuliers faisant valoir une atteinte à leurs droits en vertu du Pacte (voir procédure). Le Comité peut également, dans certaines circonstances, procéder à des enquêtes sur des violations graves et systématiques de tout droit économique, social et culturel énoncé dans le Pacte et examiner les plaintes interétatiques.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme condamne les ingérences disproportionnées au respect de la vie privée et familiale et du domicile (art 8) : « les autorités n’ont pas porté une attention suffisante aux besoins des familles qui avaient demandé un relogement sur des terrains familiaux » ( Winterstein et autres , point 166) ou les autorités ont « failli à mener une véritable consultation avec les intéressés sur les possibilités de relogement en fonction de leurs besoins préalablement à leur expulsion forcée » ( Bagdonavicius et autres c/ Russie point 106 à 107). La Cour se réfère aussi à des textes internationaux qui soulignent la nécessité du relogement (Winterstein, point 159 et Bagdonavicius, point 104)
La Cour demande une mise en balance du droit à la propriété et de celui du respect de la vie privée, familiale et du domicile (arrêt Hutten-Czapska).  La sanction réparatrice prévue par la Convention EDH (art 41) est une indemnité (satisfaction équitable), comme ce fut le cas pour certaines familles dans les deux arrêts (Winterstein et Bagdonavicius).

 

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Discrimination fondée sur la précarité économique et sociale (CEDH).

A l’occasion d’un jugement de la Cour européenne des Droits de l’Homme du 6 novembre 2017 dans l’affaire Garib vs Pays-Bas, nous voudrions mettre en évidence une des opinions dissidentes, celle du Juge Paulo Pinto de Albuquerque, auquel se rallie le Juge Faris Vehabović, en ce qu’elle ouvre des voies nouvelles.

Le Juge Pinto de Albuquerque rappelle ainsi les faits : « Dans cette affaire, la requérante, mère célibataire de deux enfants, s’est vu, en application de la loi sur les mesures spéciales pour les agglomérations urbaines, dite « Rotterdamwet », refuser l’autorisation de résidence nécessaire à son emménagement dans un appartement plus grand dans le quartier dans lequel elle résidait. Cette législation adoptée par les autorités néerlandaises visait, selon le Gouvernement, à remédier aux troubles sociaux dans les quartiers les plus défavorisés en y encourageant la mixité sociale, dans un objectif de « dé-ghettoïsation ». Elle permettait aux autorités de soumettre l’emménagement dans certaines zones, dont le quartier de Tarwewijk dans lequel vivait la requérante, à la délivrance d’une autorisation de résidence, qui était conditionnée à la perception d’un certain niveau de revenus tirés du travail.  (…) ».
La Cour a néanmoins considéré que le droit de choisir sa résidence (art. 2 du protocole n°4) n’a pas été violé, pour toute une série de raisons, dont la mise en balance des besoins individuels et des intérêts de la population locale. Cette conclusion sur la non-violation confirmait l’arrêt de la première chambre.

Analysant les législations et le jugement rendu, le Juge Pinto de Albuquerque affirme que la Convention doit placer l’individu au coeur de son raisonnement et que « les traités relatifs aux droits de l’homme doivent être interprétés de la manière qui protège le mieux les droits et libertés qui s’y trouvent inscrits. Il y a donc lieu en définitive de sélectionner l’interprétation des droits la plus favorable à l’individu. » Il s’appuie entre autres sur les Principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme et sur le livre blanc « Discrimination et pauvreté – Livre blanc : analyse, testings et recommandations », ATD Quart Monde, octobre 2013.

En plus d’une analyse sur la non-proportionnalité de l’atteinte au droit de la requérante, il développe un argumentaire sur la discrimination des individus en raison de leur précarité sociale, prenant notamment comme point de départ la définition de Joseph Wresinski, telle qu’elle apparaît dans le Rapport Grande Pauvreté et précarité économique et sociale (CESE, 1987), reprise dans celui sur les « droits de l’homme et l’extrême pauvreté » présenté par le Rapporteur spécial, M. Leandro Despouy, et adopté par la Commission des droits de l’homme (ONU) à Genève, en 1996.
Il développe également un argumentaire sur la discrimination indirecte (abordée par la Cour en particulier dans l’affaire D.H. et autres vs République Tchèque) et sur la discrimination intersectionnelle qui recherche les « intersections », les « croisements » de plusieurs discriminations.

Cette opinion constitue une source intéressante de réflexion pour la construction et la mise en œuvre d’un critère de discrimination pour raison de précarité économique et sociale.

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La discrimination à raison de la pauvreté

publié le 23 juin 2017
mis à jour le 10 novembre 2017

En septembre 2015, le Collège des droits de l’homme a invité le Mouvement ATD Quart Monde Pays-Bas à donner son avis sur l’article 1 de la Constitution néerlandaise, une disposition qui interdit à l’État de discriminer1. La question était : Faut-il compléter cet article avec un critère sur la base de la pauvreté ? Cet article constitutionnel contient déjà un certain nombre de critères.

Dans son intervention Niek Tweehuijsen, Coordinateur national du mouvement, a répondu de façon affirmative2. Il a fait référence aux « Principes directeurs : Extrême  pauvreté et droits de l’homme » adoptés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en  septembre 20123. Il a souligné la nécessité d’un ajout à l’article 1 en s’appuyant sur des  contributions et exemples de personnes qui vivent dans la grande pauvreté, ainsi que d’autres membres du mouvement.

Bien des gens qui vivent dans la pauvreté, croulent sous le poids des dettes et doivent vivre avec des revenus en dessous du minimum vital. Un logement convenable leur est refusé. Les institutions de l’État, comme les Services de l’impôt, ne respectent pas le seuil d’imposition en dessous duquel il est interdit de saisir les biens d’une personne. Un certain nombre de citoyens qui vivent effectivement aux Pays-Bas, se voit refuser l’inscription dans le registre de l’état civil, ou bien ils y sont mentionnés comme personnes parties à l’étranger. Ils deviennent ainsi des citoyens fantômes, qui ne peuvent se prévaloir d’aucun des droits qui leur sont accordés théoriquement.

Niek Tweehuijsen a mentionné également une initiative française : un certain nombre d’organisations et d’organes consultatifs, dont la Commission nationale consultative des droits de l’homme, y a plaidé pour inscrire un nouveau critère de discrimination à raison de la pauvreté dans la législation. Ensuite, un sénateur français a pris l’initiative d’introduire « un projet de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale ». Le Sénat français a adopté ce projet de loi en juin 2015. Ce projet a été soumis à l’Assemblée Nationale qui l’a adopté à son tour, sans modification, le 14 juin 201624.

Enfin, le Mouvement ATD Quart Monde aux Pays-Bas a proposé au Collège des droits de l’homme que, dans le cadre de ses futurs travaux sur la révision de la Constitution (et d’autres lois concernées), celui-ci se concerte avec des personnes qui sont victimes de discriminations graves en raison de la pauvreté.

Dans cet article (paru en néerlandais dans la série « Vierde Wereld Verkenningen » (Prospectives Quart Monde), la rédaction a voulu regarder de plus près la question de la discrimination à raison de la pauvreté et mettre en lumière quelques aspects de cette  forme de discrimination. Il s’agit d’une contribution, d’un document de travail, destiné à stimuler la réflexion sur ce sujet. L’article se termine avec quelques propositions qui demandent considération. Et comme il ressortira de ce numéro, une approche européenne au niveau de la discrimination à raison de la pauvreté s’impose.

Document « Discrimination à raison de la pauvreté » (pdf)
In Nederlands: Discriminatie op grond van armoede (pdf)
In English : Discrimination on the basis of poverty (pdf ; updated)

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1 Redegeld, Ton : Discrimination à raison de la pauvreté. Plaidoyer pour une approche européenne (Pierrelaye, ATD Quart Monde, 2017) © ATD Quart Monde. Ce texte est traduit du néerlandais : Discriminatie op grond van armoede. Het bevorderen van een (Europese) aanpak (Den Haag, ATD Vierde Wereld, 2016) Vierde Wereld Verkenningen n° 25, maart 2016
2 Pour le texte en français, voir : http://www.atd-quartmonde.org/vers-une-nouvelle-constitution-fondee-sur-legale-dignite/
3 Le 27 septembre 2012, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté par consensus les « Principes directeurs : Extrême pauvreté et droits de l’homme » conçus comme un outil destiné à la conception et la mise en œuvre des politiques de réduction et d’éradication de la pauvreté, et comme un guide sur la façon de respecter, protéger et mettre en œuvre les droits des personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté dans tous les domaines des politiques publiques. (A/HRC/21/39)
4 Texte adopté n° 757, « Petite loi ». Assemblée nationale, Constitution du 4 octobre 1958, quatorzième législature session ordinaire de 2015 – 2016, 14 juin 2016, proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale. (Texte définitif). L’Assemblée nationale a adopté sans modification la proposition de loi, adoptée par le Sénat en première lecture.
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CEDH : Placement en famille d’accueil : sa prolongation ne peut pas se justifier par le simple écoulement du temps

Les autorités italiennes n’ont pas déployé des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de la famille naturelle à vivre avec son enfant qui a été placée pendant sept ans dans une famille d’accueil en vue de son adoption, a conclu la CEDH le 22.6.2017 dans l’affaire Barnea et Calderaru c/ Italie. De plus elles n’ont pas respecté l’arrêt de la cour d’appel de 2012 qui prévoyait le retour de l’enfant dans sa famille d’origine. En particulier, la CEDH considère qu’un respect effectif de la vie familiale commande que les relations entre parents et enfant se règlent sur la seule base de l’ensemble des éléments pertinents, et non par le simple écoulement du temps (point 86). Le temps écoulé était en l’occurrence la conséquence de l’inertie des services sociaux dans la mise en place du projet de rapprochement entre l’enfant et sa famille d’origine.

La CEDH conclut ainsi à la violation de l’art. 8 de la Convention sur le droit au respect de la vie familiale.

La Cour rejoint donc explicitement l’opinion concordante du juge Sajo dans l’affaire Soares, lequel a souligné le droit fondamental des parents biologiques à vivre une vie familiale avec leurs enfants.

J.M. Visée

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