Quand on vit dans la pauvreté, exercer ses droits est risqué. Témoignages et réflexions

Documents du Colloque sur le site du
Service de Lutte contre la pauvreté

Contribution de ATD Quart-Monde Belgique à la journée du 16 décembre 2014 organisée par le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale dans l’hémicycle du Sénat sur le thème  Pauvreté et ineffectivité des droits. Non-accès et non-recours aux droits.
Marijke Decuypere, Georges De Kerchove

Marijke Decuypere

Een tijdje geleden moest mevrouw D. haar woning verlaten omdat de woning onbewoonbaar was. Ze had geen andere woning gevonden. Mevrouw D. is alleenstaande mama en heeft kinderen.

Ze kon even bij een vriend terecht tot ze haar intrek kon nemen in een doorgangswoning van het OCMW. Van daaruit ging de zoektocht verder naar een nieuwe woning. Het was een serieuze klus om een betaalbare, ruime woning te vinden. Veel eigenaars wilden niet verhuren aan een alleenstaande moeder of niet samenwerken met het OCMW voor de waarborg. Na 8 maanden vond mevrouw D. eindelijk een woning. Die leek op het eerste zicht in orde.

Omdat ze dakloos was geweest, kon ze huursubsidies aanvragen. Mevrouw D. hoorde dat de woning dan wel aan strenge eisen moet voldoen. Ze was bang dat het huis afgekeurd zou worden. Ze ging ervan uit dat ze toch geen recht zou hebben op huursubsidies. Bij het OCMW drongen ze aan om de huursubsidie aan te vragen. Als ze die zou hebben, zou ze het financieel wat beter hebben. Mevrouw D. diende een aanvraag en er kwam controle van het huis. Daaruit bleek dat het huis grote gebreken vertoonde : het dak moest vernieuwd worden en metingen toonden aan dat het vocht tot halverwege de muren stond. Dat was niet met blote oog te zien. Door het vocht verzakten de vloeren en muren.. Er kwam ook aan het licht dat er ontploffingsgevaar is. De man die de controle uitvoerde,deelde mevrouw D mee dat ze geen aanspraak maakte op huursubsidies.

Een beetje later kregen zowel mevrouw D. als de huisbaas een brief van de stad.
We moesten naar de burgemeester voor het onbewoonbaar of ongeschikt verklaren van de woning. In de brief stond een hele lijst van gebreken. Het was niet duidelijk of alle opgenoemde gebreken van toepassing waren op dat huis. Mevrouw D. schrok enorm. Ze dacht dat de woning onbewoonbaar was en dat ze opnieuw vlug de woning moest verlaten. Opnieuw hetzelfde doormaken. Zou ze een woning vinden ? Als dat niet lukte waar kon haar gezin dan nu terecht ? Moest ze opnieuw al haar meubels achterlaten ? Mogen ze opnieuw wonen in een doorgangswoning doorgangswoning of moest ze naar een opvangcentrum ? Zou ze samen met haar kinderen in een opvangcentrum terecht kunnen ? Waar is dat dan ? Zou ze dan ´s ochtends op tijd kunnen zijn om haar job uit te oefenen ? En wat zou de huisbaas zeggen

Toen ze naar de afspraak bij de burgemeester ging hoorde mevrouw D. dat de woning ongeschikt was. De huisbaas kreeg 2 maanden tijd om herstellingen uit te voeren. Hij was ontstemd en beperkte de werken tot het strikte minimum. Bij de uitvoering van die herstellingswerken bleek ook dat er een gaslek was . Ik begreep nu waarom de kinderen zo vaak ziek waren en hoofdpijn hadden. Voor mevrouw D. was de maat vol en ze ging opnieuw op zoek naar een andere woning. Ze had geluk en vond een andere woning : kleiner maar in orde. Huursubsidies durfde mevrouw D niet meer aanvragen.

Georges De Kerchove

Le témoignage de Mme Decuypere illustre une constante : les personnes vivant dans la pauvreté sont souvent amenés à prendre des risques pour faire valoir leurs droits. Elles préfèrent parfois ne rien demander parce que leur situation est en porte à faux, et revendiquer son droit pourrait se retourner contre elles.
Par expérience, quand ils sont acculés à une grande précarité, les très pauvres pressentent qu’il vaut mieux ne rien demander même si l’absence de réclamation conduit inévitablement à l’impasse. Ainsi, tout dernièrement, une maman de la région de Charleroi – mais la situation eut été identique dans n’importe quelle ville du pays – se retrouve sans logement. Elle est enceinte de son sixième enfant et les cinq autres lui ont été enlevés. Elle n’a aucun revenu et se fait héberger chez son frère. Pendant de longs mois, elle refuse d’entamer des démarches. Elle n’a d’autre choix que de vivre comme une clandestine chez son frère. Officiellement, elle est sans doute toujours domiciliée à son ancienne adresse. Peut-être même a-t-elle été radiée d’office. En réalité, elle craint –et non sans raison – que des démarches attirent des ennuis à son frère qui vient de se marier et d’avoir un enfant. Une domiciliation chez son frère n’aurait-elle pas une incidence sur son taux d’allocation de chômage ? Et le propriétaire ne risque-t-il pas de lui reprocher une sous-location déguisée, ce que le bail interdit ? Bref, elle n’entreprend rien, du moins jusqu’à la naissance.
A la maternité, les services sociaux se rendent compte de la précarité de la situation de la maman. Le SAJ exige qu’elle soit hébergée dans une maison maternelle, sans quoi l’enfant sera placé en pouponnière. Dans la suite, toujours pour éviter le placement de l’enfant, elle accepte d’être hébergée dans une maison d’accueil, mais cela se passe mal. Elle en supporte mal l’encadrement qui lui donne peu l’occasion de voir le père de l’enfant qui vient de sortir de prison. On la presse de mettre l’enfant en pouponnière. On lui dit que pour le bien de l’enfant elle doit marquer son accord. Elle finit par céder et, tout en se culpabilisant d’abandonner son fils, signe un document pour consentir de plein gré au placement.
Voilà les faits tels qu’ils se sont déroulés. D’une rare violence et d’une logique implacable. Parce que cette dame ne veut pas nuire à son frère qui l’héberge, elle s’abstient de faire valoir ses droits. Pourtant, elle devine que l’étau se referme sur elle et que sans un soutien extérieur l’enfant qu’elle porte, risque d’être placé.
Dans cet hémicycle du sénat, nous avons à essayer de traduire ce témoignage en enjeu politique : est-il équitable que dans le cas d’une personne qui en héberge une autre, sa solidarité soit sanctionnée ? Est-il équitable que les pauvres se voient sanctionnés financièrement parce qu’ils souhaitent vivre en famille ? En d’autres termes et de façon plus générale, cela pose la question de l’incidence d’une cohabitation sur le taux d’allocations sociales minimales. Au lieu d’organiser un contrôle accru pour traquer les faux isolés, ne faudrait-il pas se poser la question du bienfondé de cette différence de taux qui fait obstacle au droit de vivre en famille ? Et se poser la question en ces termes, c’est déjà donner du sens au combat désespéré et à la souffrance de cette mère et de tant d’autres personnes confrontées à la même situation. Une personne qui vivote en émargeant depuis longtemps au CPAS disait récemment : ils ont fait de nous des mendiants, et maintenant ils font de nous des criminels.
Ainsi donc, comme le soulignait déjà Victor Hugo, « La justice est une menace pour les plus pauvres au lieu d’être un soutien ». Ou encore comme le résumait avec ses mots à lui un militant lors d’une Université Populaire : « La justice écrase, donc on écrase ».
En outre, la justice fonctionne avec une certaine logique, celle du contradictoire, ce qui exige du temps, alors que les très pauvres doivent faire face à des urgences qui se cumulent : où loger avec les enfants cette nuit alors que le propriétaire, excédé par les arriérés de loyer, a mis vos affaires sur le carreau pendant la journée ? Et c’est sans compter avec l’absentéisme scolaire du fils de quatorze ans qui humilié par les rappels de l’école qui exige le payement d’une note de frais, ne va plus à l’école. N’est-il pas risqué dans ces conditions de faire valoir ses droits alors qu’on est par ailleurs en porte à faux ? Et c’est la même situation pour ce sans-papier qui hésite à déposer plainte contre son patron qui l’emploie en noir et refuse de lui payer les heures prestées.
Pas étonnant dès lors que les très pauvres renoncent à faire valoir leur droit, au risque d’être perçus comme résignés. Certains disent alors d’eux qu’ils se complaisent dans la misère et ne font rien pour en sortir.
Les pauvres ne seraient-ils pour autant que des écrasés d’une justice qui constitue une menace pour eux ? Non. Ils sont avant tout des exemples de résilience, des citoyens à part entière, des artisans en première ligne des droits de l’homme.

Pour étayer cette conviction, je voudrais témoigner d’un combat mené à Bruxelles avec des personnes vivant à la rue. Il y a près de trente ans, la Mouvement m’avait demandé d’assurer une présence parmi les sans-abri.
Nous tenions des réunions chaque semaine. À l’époque, comme dans de nombreux pays européens d’ailleurs, la loi belge réprimait le vagabondage. Sans argent ni domicile, les gens risquaient de se retrouver enfermés dans des prisons appelées pudiquement « dépôt de mendicité ».

À mes yeux, c’était intolérable : les plus pauvres étaient menacés d’être privés de liberté, simplement parce qu’ils étaient pauvres, sous le prétexte qu’ils étaient dangereux. Pourtant, certains se montraient réticents. Quand on nous embarque dans un dépôt de mendicité, expliquaient-ils, c’est souvent à notre demande, c’est notre dernier refuge quand on est à bout de force. Sinon, nous risquons de mourir d’épuisement dans la rue.
D’autres répliquaient : «  cette loi fait peser une menace perpétuelle sur nous. Parce que nous sommes des hommes, nous voulons être libres et nous sommes prêts à en payer le prix ». À l’issue de discussions parfois vives et houleuses, un consensus se fit autour de cette tendance. On rédigea alors une pétition dans ce sens, qui fut relayée par d’autres associations citoyennes. Elle trouva un écho dans le monde politique et fut finalement reprise dans la loi du 12.01.1993 contenant un programme pour une société plus solidaire. Ainsi donc, en Belgique, des personnes vivant à la rue ont contribué à la suppression de la loi réprimant le vagabondage.
Parce qu’ils ont osé relever la tête et faire entendre leur voix de citoyen, je rends hommage au courage immense de ces hommes et de ces femmes restés pour la plupart dans l’anonymat. Entre-temps, certains ont été retrouvés morts d’épuisement dans la rue. Au même titre que des Nelson Mandela, Martin Luther King et autres, ils figurent à mes yeux dans le Panthéon des défenseurs des droits de l’homme.

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