A l’occasion d’un jugement de la Cour européenne des Droits de l’Homme du 6 novembre 2017 dans l’affaire Garib vs Pays-Bas, nous voudrions mettre en évidence une des opinions dissidentes, celle du Juge Paulo Pinto de Albuquerque, auquel se rallie le Juge Faris Vehabović, en ce qu’elle ouvre des voies nouvelles.
Le Juge Pinto de Albuquerque rappelle ainsi les faits : « Dans cette affaire, la requérante, mère célibataire de deux enfants, s’est vu, en application de la loi sur les mesures spéciales pour les agglomérations urbaines, dite « Rotterdamwet », refuser l’autorisation de résidence nécessaire à son emménagement dans un appartement plus grand dans le quartier dans lequel elle résidait. Cette législation adoptée par les autorités néerlandaises visait, selon le Gouvernement, à remédier aux troubles sociaux dans les quartiers les plus défavorisés en y encourageant la mixité sociale, dans un objectif de « dé-ghettoïsation ». Elle permettait aux autorités de soumettre l’emménagement dans certaines zones, dont le quartier de Tarwewijk dans lequel vivait la requérante, à la délivrance d’une autorisation de résidence, qui était conditionnée à la perception d’un certain niveau de revenus tirés du travail. (…) ».
La Cour a néanmoins considéré que le droit de choisir sa résidence (art. 2 du protocole n°4) n’a pas été violé, pour toute une série de raisons, dont la mise en balance des besoins individuels et des intérêts de la population locale. Cette conclusion sur la non-violation confirmait l’arrêt de la première chambre.
Analysant les législations et le jugement rendu, le Juge Pinto de Albuquerque affirme que la Convention doit placer l’individu au coeur de son raisonnement et que « les traités relatifs aux droits de l’homme doivent être interprétés de la manière qui protège le mieux les droits et libertés qui s’y trouvent inscrits. Il y a donc lieu en définitive de sélectionner l’interprétation des droits la plus favorable à l’individu. » Il s’appuie entre autres sur les Principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme et sur le livre blanc « Discrimination et pauvreté – Livre blanc : analyse, testings et recommandations », ATD Quart Monde, octobre 2013.
En plus d’une analyse sur la non-proportionnalité de l’atteinte au droit de la requérante, il développe un argumentaire sur la discrimination des individus en raison de leur précarité sociale, prenant notamment comme point de départ la définition de Joseph Wresinski, telle qu’elle apparaît dans le Rapport Grande Pauvreté et précarité économique et sociale (CESE, 1987), reprise dans celui sur les « droits de l’homme et l’extrême pauvreté » présenté par le Rapporteur spécial, M. Leandro Despouy, et adopté par la Commission des droits de l’homme (ONU) à Genève, en 1996.
Il développe également un argumentaire sur la discrimination indirecte (abordée par la Cour en particulier dans l’affaire D.H. et autres vs République Tchèque) et sur la discrimination intersectionnelle qui recherche les « intersections », les « croisements » de plusieurs discriminations.
Cette opinion constitue une source intéressante de réflexion pour la construction et la mise en œuvre d’un critère de discrimination pour raison de précarité économique et sociale.