Journal Partenaire (Belgique)
n° 88 – mai/juin 2014
Depuis près d’un an, dans plusieurs pays d’Europe, des défenseurs des droits de l’homme venus de tous horizons ont écrit des centaines de récits pour dénoncer des situations d’injustice tirées de la vie quotidienne et liées à la grande pauvreté. Ils ont dit comment ils avaient tenté d’y mettre fin. Ils ont fait des propositions afin que cela change.
Des récits qui en disent long
A Bruxelles comme dans d’autres villes européennes, des hommes et des femmes restent condamnés à mendier pour survivre, à afficher leur misère pour susciter la compassion et obtenir quelques piécettes. Dans les campagnes, des hommes et des femmes, faute de moyens, résident de façon permanente dans des campings sans possibilité de s’y faire inscrire. Et à défaut d’inscription dans les registres de la population, plus encore que leur citoyenneté, leur existence même est mise en cause.
Partout, des hommes et des femmes en séjour illégal restent anonymes, c’est-à-dire sans nom, sans existence. Ils sont condamnés à la clandestinité, privés de tout droit et hors-la-loi.
Aux Pays-Bas, des hommes et des femmes sont radiés des registres domiciliaires, ils sont alors privés de tout droit et de citoyenneté. On les appelle « spookburgers », citoyens fantômes. Ici aussi, ils se voient déniés le droit d’exister parce qu’ils sont soupçonnés d’être des fraudeurs potentiels. Et sans existence légale, ils sont comme des morts vivants dans leur propre pays.
En France, des enfants sont retirés à leur famille, parfois dès la naissance, pour cause de misère. Les parents se battent pour les récupérer sans même avoir accès à l’entièreté du dossier. Et dans certains cas, la partie accessible du dossier est mise au dernier moment à la disposition de l’avocat. Peut-on parler de droit de vivre en famille et de procès équitable ?
En Espagne, faute de moyens financiers, des familles ne parviennent plus à payer le loyer. Les enfants se retrouvent en institution et les parents à la rue. Ils ont à se justifier sans cesse devant les services sensés les aider. Ici aussi, en l’absence de logement, les autres droits ne sont-ils pas bafoués en cascade, les droits à la sécurité, à la famille, à l’honneur, à la vie privée ?
Des débats passionnants, parfois difficiles
Autant de situations intolérables qui ont suscité des débats passionnants, parfois difficiles, à partir de l’expérience complémentaire et des savoirs différents des participants, dans une vraie écoute de la parole d’un chacun.
Ce fut comme un cocktail détonnant : ce séminaire a uni des forces qui jusqu’ici s’ignoraient. Il a permis de mieux cerner les enjeux fondamentaux du droit et les exigences de la justice. Il est un tremplin important pour changer le regard. Il donne un regain de confiance aux défenseurs des droits de l’homme venus d’horizons très divers. Ils ont expérimenté qu’ensemble, ils peuvent aller au fond des choses et les faire changer.
Mieux qu’un compte-rendu, voici quelques réflexions de participants belges.
« On a d’abord échangé entre gens du même milieu, on a retenu des idées, puis on les a partagées avec des professionnels. On s’est aperçu que de leur côté, les juges avaient des difficultés pour juger. Mais ils sont obligés de juger, ils n’ont pas le choix. Un juge a même dit que les pauvres avaient leur mot à dire pour faire évoluer les lois dans le bon sens » (Un militant1)
« Ce séminaire n’est qu’un début. Comment continuer ensemble ? On a lancé des pistes. ça ne peut pas rester un feu de paille, il faut donner une suite. La justice est trop importante pour la laisser aux professionnels. Je regrette d’ailleurs qu’il n’y en avait pas plus. » (Un militant)
« Au début, on croyait que les juges étaient toujours d’accord entre eux, on les voyait de l’autre côté du bureau. Maintenant, je les vois du même côté que nous. » (Une militante)
« Dans le séminaire, les juges étaient trop gentils. Et les militants aussi. Des juges n’étaient pas d’accord entre eux. Ils titillaient sur des mots, les militants n’osaient pas intervenir. A un autre moment, une militante à trop pris la parole. On ne savait plus l’arrêter. Je n’étais pas d’accord avec elle. » (Une militante)
« Les militants apportaient les véritables enjeux. On allait au fond des choses. J’ai participé à d’autres séminaires, uniquement avec des professionnels. On n’a pas été aussi loin. Les militants m’ont fait découvrir l’importance du débat verbal à l’audience. Il faut prendre le temps d’entendre les gens et de les confronter aux écrits rédigés sur eux. Quelqu’un a dit : on est massacré trois fois. Une fois par la police, une fois par l’assistante sociale, et une dernière fois par le juge. Ce qui a changé pour moi, c’est la définition de juger : un bon juge est un rassembleur de paroles qui essaye de trancher. » (Un juge de la jeunesse)
« J’ai compris qu’on est tous égaux, juges, avocats ou des gens comme nous. On est pas bêtes, on a une capacité de réflexion. On est même complémentaires pour faire respecter les lois. On était là pour la même chose, comme des partenaires. Professionnels et militants, on a gagné des deux côtés. On a appris l’un de l’autre. Eux apportaient au niveau de la loi. Nous, on apportait notre vécu et notre connaissance. » (Un militant)
« J’admire les gens qui ont écrit les récits. Ils ont du courage. Moi-même, à la lecture d’un récit, j’ai dû sortir, j’étais pleine d’émotion. ça me rappelait de mauvais moments. » (Une militante)
« La rencontre entre différents vécus a été possible. On vivait une même histoire, mais différemment. On est passé d’une logique de chacun dans son coin vers une logique de collaboration. J’ai été impressionnée par l’espace de parole donné aux militants et par ce qu’ils ont dit, parfois avec beaucoup d’émotion. » (Une avocate)
Ont contribué à la rédaction de cet article : Didier Clerbois, Marc Couillard, Georges de Kerchove, Oumar Kane, Marcelle Ledieu, Jean François Limpens
1 Militant(e) : membre d’ATD Quart Monde ayant vécu l’expérience de la pauvreté
Ayant participé à ce séminaire, j’ai depuis investit dans mon engagement . Ce qui est encore important s’est toujours aller de l’avant, parfois s’est dur, mais notre histoire est encore plus dur. Alors s’investir le plus à font important. Je ne pensais pas que j’aurai pu présentée la loi de 1998 à la lutte contre les exclusions , à la pleinière de l’UP à Lyon en présentant la co formation avec les magistrats et ceci sans lire de préparation écrite. Fallais faire bien.