Pauvreté et ineffectivité des droits sociaux, non-accès et non-recours aux droits

Colloque du Service de Lutte contre la Pauvreté, Bruxelles, 16 décembre 2014

François VANDAMME,
Collaborateur scientifique à l’UCL

La presse , par quelques trop courts articles, a relayé des constatations faites au cours du colloque organisé au Sénat, le 16 décembre dernier, par le Service de lutte contre la pauvreté à l’occasion de son 15ème anniversaire. Je voudrais ajouter quelques commentaires.

1. Effectivement, plusieurs intervenants, sous un angle différent issu de leur pratique professionnelle, ont émis la constatation selon laquelle de nombreux ayant-droits à des prestations ne les demandent pas ou n’exercent pas les recours possibles.
Ces témoignages contrastaient naturellement avec une opinion publique répandue faisant croire qu’il y a de nombreux abus. Or, il n’y a rien de moins évident pour une personne pauvre que de réclamer ses droits ou de se battre à cette fin. Mais elle n’est pas seule responsable de cette situation : il y a aussi des explications administratives ou des lacunes – disons-le comme cela- des dossiers préparatoires. Des personnes très pauvres, en ne demandant rien, ne veulent pas attirer l’attention des services sociaux ou de la police sur d’autres aspects « irréguliers » de leur situation engendrée par l’enchaînement des circonstances qu’elles vivent. La complexité de certaines réglementations ajoute au problème, quand certains de leurs mécanismes ne stigmatisent pas eux-mêmes. C’est dans ce contexte général que l’observation du professeur Nicaise (KUL) fut percutante : plus un droit est universel, mieux il est appliqué ; plus il est ciblé, moins c’est le cas.

2. Toutes les interventions du colloque ont tourné autour des explications de cette observation, à l’appui d’expériences belges, françaises et britanniques. Un professeur du RU, Paul Spicker (Robert Gordon University Aberdeen) a expliqué de façon très pédagogique les conséquences de la complexité de mécanismes ou de législations visant des cibles – des groupes sociaux – très spécifiques. « The Welfare State didn’t prevent 3 myths » amenant à penser que « rights would overcome stigma ».
Enquêtant sur l’effectivité des droits économiques et sociaux en Belgique et sur les facteurs qui influencent la sous-protection, Nicaise a recommandé de ne pas uniquement s’attarder aux causes dans le chef des individus mais aussi à l’architecture du système des prestations en cause. Il ne faut pas sous-estimer non plus les problèmes budgétaires de nombreuses communes chargées de délivrer les prestations et services. Il a aussi attiré l’attention sur ce que certains statuts des personnes dans les mesures d’activation dérogent à la protection légale.

D’autre part, la fragmentation des droits et services fait qu’aucune personne, nulle part, n’est jamais considérée dans la globalité de sa situation personnelle. Des mécanismes d’enquête sont trop intruistes dans la vie des gens. L’évolution des familles ou des modes de vivre ensemble fait apparaître cela. Un représentant syndical dans un panel, très expert en législations de sécurité sociale, a prétendu que dans leur application, certaines législations « dysfonctionnent ou sont appliquées dans une certaine logique incompatible avec la situation des personnes ».

3. Du côté des remèdes à présent, une haute fonctionnaire de l’INAMI a fait état d’une convaincante expérience de coopération entre son institution avec d’autres administrations pour détecter plus précocement des personnes dans le besoin de recevoir des indemnités.
Certes, la simplification des réglementations et des droits est à recommander. Mais le non-accès aux droits est une réalité plus complexe encore.
L’ancienne juge à la Cour des Droits de l’homme, Mme Tulkens, a admis, convaincue, qu’ »aucun droit de l’homme ne résiste face à la pauvreté ». Or, les droits de l’homme concernent tout le monde, dit-elle, et le devoir général des services sociaux est de mettre les personnes en capacité de faire valoir leurs droits. Par conséquent, l’accès à la Justice est une clé pour obtenir la disponibilité, l’adéquation et l’adaptation des droits. Mme Tulkens s’est référée à cet égard aux Principes directeurs des Nations-Unies sur la lutte contre l’extrême pauvreté. On peut plaider que l’extrême pauvreté est un « traitement inhumain et dégradant » au sens de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Le principe largement admis maintenant de l’indivisibilité des droits est à mettre à l’épreuve de l’effectivité : c’est sur le terrain que cela se vérifie. La pauvreté trouve son terreau dans les injustices sociales.
Pourquoi les Etats demeurent-ils sourds aux recommandations convergentes des organes de contrôle des conventions internationales ?
Ces organes ont dit que les droits de l’homme ne peuvent être sacrifiés sur l’autel de l’austérité. Celle-ci relève d’une politique de court terme, qui affecte d’ailleurs plus les femmes. Mme Tulkens rappelle que la Cour européenne des DH n’admet pas l’argument du manque des ressources, soulevé souvent par les gouvernements, dès lors qu’un Etat s’est engagé dans une convention de droits de l’homme.

Bruxelles, 19 décembre 2014

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